Le clergé vietnamien alerte l’opinion internationale sur une très grave pollution
Claire Lesegretain (avec Église d’Asie), le 24/05/2017 à 12h06
L’évêque de Vinh et quatre de ses prêtres viennent d’effectuer une tournée en Europe pour obliger le gouvernement vietnamien et les aciéries taïwanaises Formosa à indemniser les populations victimes d’une catastrophe écologique.
Des poissons morts représentés dans un coin du plus grand lac Ho Tay de Hanoi le 3 octobre 2016. Une mort massive de poissons a été trouvée pendant le week-end au lac en raison de son eau très polluée. / Hoang Dinh Nam/AFP
L’initiative est audacieuse et inédite. L’évêque de Vinh (nord du Vietnam), Mgr Nguyên Thai Hop, et quatre de ses prêtres, ont effectué mi-mai une « Marche pour la justice et les droits de l’homme », en passant par Oslo, Bonn, Bruxelles et Genève. Objectif de cette tournée européenne : alerter l’opinion publique internationale sur la situation des populations vietnamiennes touchées, depuis plus d’un an, par une très grave pollution maritime.
La délégation du diocèse de Vinh, dont la région est particulièrement touchée par la pollution, a rencontré des représentants de l’Union européenne et différentes ONG et associations de lutte pour l’environnement, la justice et la dignité humaine, expliquant, devant chacun, les faits et ses conséquences.
En avril 2016, le rejet en mer de Chine de substances toxiques par l’aciérie taïwanaise Formosa, implantée dans le district de Ha Tinh, a causé la mort des poissons et des crustacés, venus s’échouer sur les plages par centaines de tonnes. Or la grande majorité des habitants du littoral tire sa subsistance de la mer : pêcheurs et vendeurs de poissons et de crustacés, producteurs de sel, propriétaires de bassins piscicoles, exploitants de restaurants et d’hôtels…
Bateaux laissés à l’abandon
« Les pécheurs ne vont plus en mer car les poissons sont morts et, s’ils ont la chance d’en trouver, ils ne peuvent pas les vendre car personne n’achète de poisson provenant de ce secteur », a déclaré Mgr Nguyên Thai Hop dans un entretien publié par Églises d’Asie, l’agence d’information des Missions étrangères de Paris (MEP), lundi 22 mai.
« Tous sont donc condamnés au chômage. Beaucoup de bateaux sont laissés à l’abandon. N’ayant plus d’argent, les familles ne peuvent plus envoyer les enfants à l’école. Cette situation est terrible », a encore expliqué l’évêque de Vinh.
Depuis un an, de nombreuses protestations locales se sont exprimées. Ainsi, le 3 mai 2016, 18 000 personnes ont signé une lettre destinée aux autorités civiles locales et à l’Assemblée nationale de Hanoï, décrivant la situation catastrophique.
Informations censurées
Mais jusqu’à présent, les autorités vietnamiennes n’ont rien fait pour venir en aide aux populations. Pire : toutes les informations sur la catastrophe sont censurées ; aucune analyse scientifique de la pollution n’a été effectuée et rien n’est dit à propos d’une éventuelle dépollution des côtes.
Du coup, la délégation du clergé de Vinh n’hésite pas à « critiquer vivement le choix fait par les autorités de travailler avec Formosa, une aciérie qui utilise des technologies désuètes et qui a de fâcheux antécédents en matière de pollution ».
Le gouvernement communiste de Hanoï s’est mis d’accord avec Formosa pour fixer une indemnisation totale de 500 millions de dollars (soit 450 millions d’euros). Mais cela s’est fait sans concertation avec les victimes et sans analyse préalable des préjudices subis. Plus d’un an après, « la plupart des victimes n’ont pas encore été indemnisées ».
Des fonctionnaires incompétents
« À Ha Tinh, un secteur a déjà reçu une indemnisation, mais les fonctionnaires ont mal fait leur travail, a raconté Mgr Hop. Des personnes qui ne sont pas des victimes de la catastrophe ont perçu une indemnisation, tandis que des victimes n’ont pas été indemnisées. »
La délégation de Vinh dénonce également le chiffre avancé par les autorités civiles de 200 000 victimes. « Il y en a au moins trois fois plus, a déclaré Mgr Hop. Et si on ajoute toutes les victimes indirectes, ce sont deux millions de personnes qui sont concernées », sachant qu’il y a environ six millions de personnes dans le diocèse de Vinh, dont 500 000 catholiques. « Nous travaillons pour toutes les victimes, pas seulement pour les catholiques, et beaucoup de victimes ne figurent pas dans la liste officielle des personnes à indemniser. »
Refus d’aides venant de l’étranger
Enfin, le clergé de Vinh ne comprend pas pourquoi le gouvernement vietnamien n’accepte pas les propositions d’aide venant de l’étranger. « À Genève, on m’a indiqué que l’ONU avait proposé de coopérer avec Hanoï pour déterminer quelle méthode scientifique permettrait de dépolluer la côte du Vietnam. Mais le gouvernement a refusé », a poursuivi Mgr Hop, en dénonçant une « attitude irresponsable est incompréhensible ».
« Nous ne demandons pas seulement une indemnisation juste, mais aussi la fermeture de l’usine Formosa à Ha Tinh, pour éviter la contamination de la mer, des rivières, des sols et sous-sols, conclut-il. Actuellement, l’usine fonctionne en rodage. Si elle se met à fonctionner à plein régime, que va-t-il se passer ? Comment pourra-t-on vivre dans ce secteur ? »
Claire Lesegretain (avec Église d’Asie)